Ils ont l’arrogance des vainqueurs quand la pudeur et du moins la discrétion les invitent à se faire oublier. Ils font tout un tapage dans la presse et invoquent les bienfaits de la réconciliation en se découvrant soudain les vertus des pasteurs rassemblant des ouailles égarées. En ces journées de septembre où la douleur est de nouveau convoquée à Bentalha et Raïs, hauts –lieux de la barbarie, il était attendu des auteurs de l’horreur un peu plus de retenue que ces manifestations ostentatoires d’un repentir plus empreint de tartufferie que de sincérité. À trop vouloir exalter une cause, on la dessert et éloigne encore plus les auditoires qu’on veut convertir aux bienfaits de la paix.
La vertu majeure de ce peuple lacéré durant une longue décennie, de ces habitants de Bentalha et de Raïs, dans leur sommeil, surpris par les égorgeurs, c’est justement de pardonner mais de ne pas oublier. Comment oublier ses propres enfants, assassinés cette nuit des longs couteaux comme en témoigne ce père de famille qui eut la chance de se trouver en déplacement ? L’infortuné rescapé parle plutôt de malchance et il jure sur la tombe de tous les siens, qu’il aurait souhaité ne pas leur survivre pour ne pas avoir à assumer un deuil si lourd. Or précisément, il y a manifestement une grosse méprise dans la compréhension de cette réconciliation nationale perçue comme le quitus à narguer les mémoires en se conduisant comme les héros d’une guerre pourtant perdue.
Le souci des pouvoirs publics fut bien de tourner la page et non de créer une nouvelle configuration politique où les terroristes viendraient à se croire en terrain conquis, multipliant les interviews et les contributions semblables aux héros de quelque odyssée de laquelle ils revinrent en triomphateurs.
N’est-ce pas fausser la philosophie de cette réconciliation que de tendre le micro à des acteurs qui ne font, en définitive, que réveiller des souvenirs tragiques? Que l’un de leurs leaders assiste à l’enterrement de celui qui l’a farouchement combattu, on pourrait aisément mettre cette provocation sur le compte de la mansuétude voire de la volonté de tourner la page, devant la mort, on range, n’est-ce pas, les plus féroces des inimitiés? Mais pourquoi cet étalage de bons sentiments à l’intention d’un peuple qui a encore brûlant le souvenir des descentes punitives où l’on égorgeait au nom du Tout Puissant ? La pudeur, disons-nous, c’est de se terrer et de se consacrer exclusivement à son commerce – du reste fort lucratif- au lieu de venir jouer les rédempteurs et les messagers d’une cause qui fut en son temps refusée : n’oublions pas que ces massacres ont eu lieu au moment où la main du pardon était déjà largement tendue. Alors, qu’on laisse le temps faire son oeuvre et que l’on se retienne de crier victoire. C’est qu’ils trouvent quelque raison de pavaner, eux qui jubilent de voir les autorités pourchasser les « casseurs de Ramadhan » passibles de prison. Avec ces nouveaux prévenus, il faut aussi se réconcilier.
Hamid A. B. ( Le courrier d'Algerie ).